Réserves sur le premier "autodiagnostic" du cancer du sein
La jeune société américaine EU LifeSciences se concentre sur la détection précoce du cancer chez les femmes grâce à des systèmes qu'elles peuvent utiliser elles-mêmes à la maison. En collaboration avec Siemens, EU LifeSciences lancera bientôt le premier appareil permettant d'examiner soi-même ses seins (1). Il s'agit de l'IBreastExam, un appareil fonctionnant sur batterie, composé d'une poignée et d'un coussin muni de capteurs. Avec l'IBreastExam, vous devez balayer la surface de vos seins en exerçant une légère pression, tandis que les capteurs du coussin peuvent détecter les différences de rigidité des tissus mammaires. Ces informations sont envoyées sans fil à une application sur votre smartphone ou votre tablette, où elles sont converties en une image 3D montrant la rigidité du tissu mammaire. Les différences de rigidité peuvent indiquer la présence d'une masse dans le sein, tout comme vous pouvez le sentir lorsque vous examinez vos seins avec vos mains. Cependant, l'appareil, l'IBreastExam, prétend pouvoir le faire mieux que nos doigts. Tout durcissement anormal s'affiche en rouge sur l'écran. Il faut un peu de pratique pour apprendre à utiliser correctement l'IBreastExam. L'appareil n'est pas encore disponible, mais devrait l'être bientôt.
Pays du tiers monde
L'IBreastExam fait ses preuves depuis plusieurs années dans les pays du tiers-monde où les femmes n'ont pas accès à la mammographie de dépistage. C'est ce que confirme une étude récente (publiée en avril 2022) de l'Université Obafemi Awolowo au Nigeria où, en 2019, 424 femmes présentant un risque élevé de cancer du sein ont été examinées soit par un chirurgien expérimenté, soit par une infirmière formée à l'utilisation de l'IBreastExam (2). L'appareil a détecté des anomalies dans le sein plus souvent que le chirurgien expérimenté, mais ce dernier était mieux à même de distinguer une lésion bénigne d'une lésion maligne. Malheureusement, les petites lésions (inférieures à 2 cm) ont échappé à la fois au chirurgien et à l'IBreastExam. L'étude a également examiné des femmes ayant subi une échographie et une mammographie : ces deux techniques d'imagerie ont détecté beaucoup plus de cancers du sein que l'IBreastExam ou les mains du chirurgien. Dans les pays, comme le Nigeria, où les femmes n'ont guère accès à la mammographie de dépistage, l'IBreastExam constitue un excellent moyen de détecter les anomalies dans les seins. De plus, une infirmière peut apprendre à utiliser cet appareil, ce qui est particulièrement utile dans les régions où il n'y a pas ou peu de médecins. Sa facilité d'utilisation et son coût relativement faible sont des raisons supplémentaires pour rendre l'IBreastExam disponible dans les pays du tiers-monde, où la plupart des cancers du sein sont détectés à un stade plus avancé que dans notre pays, ce qui se traduit par une survie plus limitée. Au Nigeria, par exemple, 80 % des cancers du sein sont détectés au stade 3 ou 4 et la tumeur a un diamètre moyen de plus de 10 centimètres au moment du diagnostic.
Fausse alerte
L'IBreastExam sera bientôt lancé en tant que premier appareil au monde permettant l'autodépistage du cancer des seins. La précision de cet appareil ne peut en aucun cas dépasser celle d'une mammographie de dépistage. Un résultat négatif n'offre pas une certitude totale, car de très petites tumeurs peuvent passer inaperçues. En outre, l'appareil donne souvent de fausses alertes. Sur 50 cas de lésions potentiellement suspectes, cinq se révèlent être un cancer du sein après un examen plus approfondi. Les fausses alertes provoquent beaucoup de peur et d'anxiété et des examens inutiles. Il est tout à fait possible que les jeunes femmes dont les seins sont pleins de tissu glandulaire et qui pratiquent l'auto-examen soient encore plus susceptibles de recevoir de fausses alertes. Toutefois, l'IBreastExam présente l'avantage d'être indolore et encore plus accessible (vous pouvez le faire à la maison), par rapport à la mammographie de dépistage.
Pink Ribbon encourage les femmes âgées de 50 à 69 ans à accepter l'invitation au dépistage du cancer du sein par mammographie de dépistage, tel qu'il est organisé dans notre pays. Les femmes présentant un risque accru de cancer du sein sont invitées à consulter leur médecin pour savoir s'il est souhaitable de passer une mammographie à un âge plus jeune. Notre organisation ne pense pas que l'IBreastExam soit une bonne alternative au dépistage du cancer du sein tel qu'il est pratiqué aujourd'hui.
(1)https://www.uelifesciences.com/
(2) Mango V, Olasehinde O, Omisore A et al. The iBreastExam versus clinical examination for breast evaluation in high-risk and symptomatic Nigerian women : a prospective study. The Lancet Global 2022;10:E555-E563 (avril 2022)