Interview Isabelle Demeestere : Impact du cancer du sein sur la fertilité
"Avoir un enfant, c'est encore possible
Auparavant, on conseillait prudemment aux jeunes femmes ayant souffert d'un cancer du sein d'abandonner définitivement leur désir d'enfant. On soupçonnait que la grossesse pouvait augmenter les risques de rechute. Après tout, la grossesse bouleverse votre équilibre hormonal, ce dont vous pouvez vous passer si vous avez été traitée pour une tumeur - généralement - sensible aux hormones, selon le raisonnement. Cette idée est encore bien vivante ici et là, mais elle est totalement dépassée. "On sait aujourd'hui qu'une grossesse après un cancer du sein n'augmente en rien le risque de rechute, quel que soit le type de cancer du sein, hormono-sensible ou non", assure le professeur Isabelle Demeestere, gynécologue à l'hôpital Erasme de Bruxelles et chercheuse scientifique au FNRS. Demeestere est spécialisée dans le cancer et la fertilité. "Il existe aujourd'hui suffisamment d'études de grande envergure pour le confirmer. Les femmes peuvent tomber enceintes en toute sérénité, même après un cancer du sein."
"Six à huit pour cent de toutes les femmes chez qui un cancer du sein a été diagnostiqué ont moins de 40 ans. Ce n'est pas peu, compte tenu de la forte prévalence du cancer du sein", poursuit Isabelle Demeestere. "En Belgique, on estime à 500 le nombre de femmes en âge de procréer touchées chaque année par cette maladie. Le maintien de la fertilité est une priorité absolue pour elles. Pourtant, un désir d'enfant inassouvi est souvent la dernière chose à laquelle ces femmes pensent lorsqu'elles sont confrontées à un diagnostic de cancer du sein. Elles veulent avant tout survivre au cancer. "Le médecin traitant doit prendre l'initiative. Il est extrêmement important de discuter du désir d'enfant avant d'entamer un traitement contre le cancer du sein", affirme-t-elle avec détermination.
Chimiothérapie
Le cancer du sein n'affecte pas la fertilité, pas plus que la chirurgie et la radiothérapie de la région mammaire. Ce sont les traitements médicamenteux, notamment la chimiothérapie, qui ont mauvaise réputation à cet égard. "Comme le cancer du sein n'est pas systématiquement détecté chez les jeunes femmes, celles-ci sont plus susceptibles d'avoir un cancer du sein légèrement plus avancé au moment du diagnostic", explique le professeur Demeestere. "C'est pour cette raison que l'on utilise plus souvent la chimiothérapie chez elles, et la chimiothérapie peut interférer avec le fonctionnement des ovaires." Toutes les patientes atteintes d'un cancer du sein qui reçoivent une chimiothérapie ne deviennent pas stériles pour autant, mais les risques sont réduits de 30 à 60 %.
Isabelle Demeestere n'aime pas exprimer les chances de grossesse en chiffres. "Les très jeunes femmes ont de réelles chances de récupérer spontanément du tissu ovarien. Elles tolèrent mieux les médicaments ou ont tout simplement suffisamment d'ovules dans les ovaires", ajoute-t-elle. "Après une chimiothérapie, la reprise du cycle menstruel peut prendre de six mois à un an, et même après cela, des problèmes de fertilité peuvent survenir."
Œufs au congélateur
Plusieurs solutions s'offrent aux femmes atteintes d'un cancer du sein et désireuses d'avoir des enfants qui doivent subir une chimiothérapie. "Le choix le plus évident est de prélever des ovules afin de les congeler pour plus tard", rassure le Dr Demeestere. Pour récolter un maximum d'ovules matures, les ovaires doivent d'abord être stimulés hormonalement, avec des injections quotidiennes d'hormones pendant 10 à 14 jours. "Les hormones administrées pour la stimulation ovarienne sont associées à un autre médicament qui empêche le cancer de se développer", précise le gynécologue. "En effet, le prélèvement des ovules doit avoir lieu avant même le début du traitement du cancer du sein. La plupart des cancers du sein sont sensibles aux hormones, et avec les hormones, il faut toujours veiller à ne pas aggraver le cancer. "Les femmes qui optent pour la stimulation et le prélèvement d'ovules sont remarquablement positives à ce sujet", affirme M. Demeestere. "Cela leur donne une perspective pour leur vie après le cancer du sein. Cela leur inspire également confiance lorsque les médecins y consacrent des efforts."
Afin de ne pas retarder trop longtemps le traitement du cancer du sein, les femmes ne subissent qu'un seul cycle de stimulation. "Nous ne pouvons pas garantir que les ovules congelés répondront à leur désir d'enfant après un cancer du sein. Cela dépend de l'âge et du nombre d'ovules prélevés. En moyenne, une femme de moins de 36 ans dont on peut congeler 8 à 10 ovules a 40 à 50 % de chances d'être enceinte après un traitement anticancéreux." Pas mal, certes, mais pas super bien non plus. Si la femme a un partenaire, elle peut aussi opter pour la fécondation in vitro, après quoi les embryons sont congelés. Les chances de grossesse sont alors plus élevées.
"Il est extrêmement important de discuter du désir d'enfant avant d'entamer un traitement contre le cancer du sein. - Expert Isabelle Demeestere, gynécologue à l'hôpital Erasme de Bruxelles et chercheur scientifique au FNRS
Tissu ovarien
Il existe également des médicaments qui atténuent les effets toxiques de la chimiothérapie, réduisant ainsi le risque de lésions ovariennes. "Ces médicaments peuvent être utilisés avec la chimiothérapie pour les cancers du sein hormono-sensibles afin de réduire le risque de rechute", explique M. Demeestere. "Nous commençons le traitement vers la fin de la chimiothérapie chez les femmes qui souhaitent encore avoir des enfants. Il ne s'agit pas d'une véritable alternative à la congélation, mais parfois d'un complément. "Une autre option consiste à prélever du tissu ovarien par une petite intervention chirurgicale et à congeler ce tissu. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire de procéder à une stimulation hormonale et à un prélèvement d'ovules. C'est donc plus rapide." Le tissu ovarien contient également des ovules, mais ils sont immatures et ne peuvent donc pas être utilisés pour la fécondation in vitro, comme les ovules obtenus après stimulation. "Nous réimplantons le tissu prélevé sur le tissu ovarien restant une fois le traitement terminé, en espérant que la procédure aidera les ovaires à retrouver leur fonction. Malheureusement, les chances de grossesse sont faibles. C'est pourquoi nous ne proposons cette technique qu'aux femmes de moins de 30 ans qui ne souhaitent pas retarder le traitement de leur cancer du sein, qui ne veulent pas de stimulation ou pour lesquelles il est préférable de commencer le traitement le plus tôt possible. Parfois, les deux techniques - congélation d'ovules et prélèvement de tissu ovarien - sont combinées pour optimiser les chances.
Sensibilisation
Les médecins qui s'occupent de jeunes patientes atteintes d'un cancer du sein devraient évoquer le désir d'avoir des enfants, qu'il y ait ou non un partenaire. "Nous saisissons toutes les occasions pour sensibiliser les gens à ce sujet", sourit Mme Demeestere. "La Belgique est l'un des premiers pays à avoir mis en place un programme de préservation de la fertilité pour les jeunes femmes traitées pour un cancer. De nombreuses patientes étrangères viennent dans nos hôpitaux pour cela. Nous sommes forts dans ce domaine et nous voulons que toutes les jeunes femmes atteintes d'un cancer du sein puissent en bénéficier.
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